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    Causerie

    Tandis que le printemps s'avance — bien boudeur, ce printemps, et pleurard en diable, mais il s'avance tout de même — tandis que la sève bouillonne aux lianes des marronniers de Bellecour, dont la robe verte disparaît à moitié sous l'empanachement des thyrses au parfum subtil, les cerveaux humains travaillent ferme, et c'est ainsi qu'on a vu éclore, dans la masse des honorables citoyens qui se proposent de faire le bonheur de la France, nombre de candidatures excentriques apportant leur réjouissante note au vacarme bruyant de la mêlée électorale.

    Ce n'est pas d'aujourd'hui que se produisent ces excentricités. De tout temps, en effet, depuis qu'il est loisible à tout Français, en possession de ses droits civiques, de briguer les libres suffrages de ses « chers concitoyens », on a vu des esprits fantaisistes donner ainsi libre cours à la manie agitante de la folle du logis.

    Il faudrait même remonter beaucoup plus haut dans l'histoire pour trouver l'origine de ces trucs ingénieux, tout simplement renouvelés des Grecs, comme le jeu de l'oie. N'est-ce point Alcibiade qui, voici deux mille ans et plus, s'avisa de couper la queue de son chien pour ramener à lui l'attention trop versatile de ses concitoyens d'Athènes ?

    Le recours à ce genre de mutilation est généralement épargné aujourd'hui au fidèle ami de l'homme, mais ce n'en est pas moins à l'antique amant d'Aspasie que revient l'honneur de l'invention ; c'est lui qui a tracé la voie ; il n'y avait plus qu'à marcher, et on ne s'en fait pas faute.

    On ne coupe plus la queue à son chien, c'est vrai, mais on modifie volontiers la coupe de son habit. Tel le bon docteur Grenier, député musulman de Pontarlier dont le burnous arabe, les salamalecs et les ablutions publiques ont fait la joie de la dernière législature ; tel feu Thivrier, l'homme à la blouse, imité depuis par le citoyen Bonard.

    Les habitués du Palais-Bourbon n'ont pas eu l'heur de voir ce dernier revêtu de la blouse égalitaire ; mais nous en eûmes l'occasion, nous autres Lyonnais, quand l'enfant chéri des blanquistes vint triomphalement occuper son siège, en tenue de travail et cheveux au vent, dans notre assemblée municipale. Par une fatale négligence, le citoyen Bonard, en se rendant au Parlement, jeta sa blouse aux orties, sans se douter, le malheureux, qu'il y jetait en même temps tout son prestige. Et voilà que ça recommence, comme nous le disions plus haut. Un marchand des quatre saisons, qui quotidiennement remorque, par les rues d'une localité voisine de Lyon, sa carriole chargée de fruits et de légumes, ne donnait-il pas, ces jours derniers, comme gage suprême de son indépendance et de son dévouement à la chose publique, l'assurance que si ses concitoyens renvoyaient au Parlement, il emmènerait avec lui sa chère carriole et continuerait dans les rues de Paris son modeste commerce, se contentant de se faire suppléer pendant les séances, par sa femme et ses enfants?

    Un autre, dans le département de l'Ain (ne le nommons pas, ce sera son châtiment), un candidat national, s'il vous plaît, considère que le premier devoir d'un député est d'harmoniser son costume avec ses opinions — diable ! et ceux qui n'en ont pas, d'opinions — et il s'est engagé sur l'honneur, devant les électeurs assemblés, a porter régulièrement, s'il est élu, un pantalon bleu, un gilet blanc et une veste rouge. Une veste! Voilà qui est d'un fâcheux augure pour le candidat tricolore

    Et cet autre, enfin, qui promet à ses électeurs de fonder une religion nouvelle, dont il serait naturellement le grand-prêtre !

    Se laissera-t-on prendre encore à ce ridicule cabotinage? Pour le renom du peuple le plus spirituel du monde, nous aimons à croire qu'il n'en sera rien. Nous serons en tous cas fixés demain.

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